dimanche 6 avril 2008

Gouverner la ville mobile


Au début de l’année est paru un petit bouquin à lire d’urgence : "Gouverner la ville mobile", signé Philippe Estèbe aux Editions PUF. Cette publication est la synthèse d’un rapport de recherche remis en octobre 2005 au Ministère de l’urbanisme/PUCA avant qu’il ne se fonde dans le grand MEEDDAT (déjà ex-MEDAD). Ce rapport s’intitulait "La carte politique, instrument de la solidarité urbaine ? L’intercommunalité à l’épreuve de la polarisation sociale de l’urbain." Philippe Estèbe (Acadie) l’avait rédigé avec Magali Talandier, maître de conférences à l’Institut d’Urbanisme de Paris et chercheuse à L’oeil, la cellule de recherche animée par Laurent Davezies.


Dans la lignée de l’article qu’il avait publié en avril 2004 dans la revue Esprit sur le gouvernement des périphéries urbaines, Philippe Estèbe revisite le décalage entre les territoires fonctionnels et les territoires institutionnels à travers le prisme du déploiement de l’intercommunalité. Les faits sont connus : il existe une pluralité de communautés d’agglomération au sein de nos aires urbaines, un zonage statistique de référence qui obsède le bureau de la législation de la Direction de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction (DGUHC), administration d’Etat plaidant pour une planification territoriale à large échelle. Ceux-là sont en effet tenants d’un régime urbain qualifié par Philippe Estèbe de "Gargantua", c’est-à-dire d’une intercommunalité urbaine optimale car dévorant sa périphérie et unifiant l’ensemble de nos bassins de vie. Ce premier régime permet ainsi de garantir la solidarité urbaine sur le territoire par le biais de la mutualisation de la fiscalité et des services urbains. Mais la réalité est tout autre, car si depuis les villes centre, les communautés ont bien réussi à "faire société", les périphéries urbaines sont en revanche regroupées de manière autonome dans des communautés de ressemblance, parfois égoïstes ou défensives. En d’autres termes : depuis les villes-centre (nos 100 préfectures), l’intercommunalité est "hétérogame" et répond bien aux canons des lois Chevènement et SRU (nombre de logements sociaux en nombre suffisant) en agrégeant des populations et des activités diverses sur des périmètres de solidarité, ce qui n’est pas le cas dans les communautés d’agglomération ou de communes périphériques, dites "homogames". Cela s’explique tout simplement par les dynamiques de spécialisation fonctionnelle des territoires (habitat, activité). Ces communautés résidentielles ne seraient ainsi que l’expression politique d’une aspiration au périurbain. Il s’agit de la "France des pavillons", ces "nouvelles classes moyennes" (les "pavillonnaires" étudiés par Marie-Christine Jaillet) qui sont partis des quartiers d’habitat social et qui ont fui la "mixité sociale" et l’insécurité. Cet entre-soi est qualifié par l’auteur "d’effet de Club". La mobilité des périurbains leur permet de profiter des services de l’intercommunalité centrale, sans en supporter les charges ou les inconvénients associés (densité, logement social). Le chercheur établit ainsi le lien entre le "panier de services" offert par une communauté et le régime matrimonial de l’intercommunalité urbaine (comment les communes se marient). Les clubs auraient donc fait sécession... un résultat qui va manifestement à l’encontre des objectifs du "contrat social républicain" cher à Jean-Pierre Chevènement, père de la loi du 12 juillet 1999.

Cette vision, quoique schématique, est très bien étayée par les analyses statistiques relatives à la sociologie du déploiement communautaire. Sans tomber dans un manichéisme qui incriminerait les résidents des clubs, Philippe Estèbe propose une grille de lecture stimulante pour les urbanistes de l’action publique que nous sommes. Une contribution à remettre en perspective avec les deux derniers colloques d’Urba+ sur les "denses cités" et sur "l’urbanisme à l’heure intercommunale".