lundi 7 avril 2008

Villes privées : la réalité dépasserait-elle déjà la fiction ?



Sans doute, si l'on en croit le réalisateur mexicain Rodrigo Pla (voir l’interview qu’il a donnée dans Le Monde du 25 mars 2008, « Cette fiction repose sur une réalité encore plus violente »). Son film, La Zona, propriété privée, est un saisissant polar politique qui a été salué à l’unanimité par la critique (et par une moisson de récompenses : Lion du futur à Venise, Prix de la critique internationale à Toronto). Zone résidentielle de standing, coupée du reste du monde par un mur de béton et protégée par un service de sécurité privé, la zona est une gated community comme il en existe des milliers en Amérique (du Nord ou du Sud). Derrière ce phénomène, s’entrechoquent de nombreuses problématiques* : l’entre-soi, le sentiment d’insécurité, le repli communautaire et identitaire, le ghetto des nantis… Cette enclave sert de cadre au film de Rodrigo Pla, qui prend soin de filmer les frontières et les contrastes socio-spatiaux avec l’extérieur. Le synopsis est simple : trois adolescents des quartiers pauvres pénètrent dans l'enceinte de La Zona, s'introduisent dans l'une des maisons, mais le cambriolage tourne mal. Plutôt que de prévenir les autorités, les résidents décident de se faire justice eux-mêmes. De la violence symbolique à la violence physique, il n’y a qu’un pas et la ligne jaune va être franchie par la communauté de la zona : mensonges, délation, harcèlement moral, abus de pouvoir, corruption, chasse à l’homme et assassinat collectif. L’enchainement de ces événements tragiques est inéluctable, le spectateur se sentant impuissant face à la montée irrésistible de l’horreur fasciste. Si le réalisateur se garde bien – et c’est heureux – de toute simplification manichéenne, il explique aussi que la fiction de La Zona repose sur une réalité encore plus violente que celle qu'il a mise en scène : « J'ai beaucoup d'amis qui ont été kidnappés (le temps d'extorquer une rançon). Ce sont des gens de la classe moyenne, les riches sont à l'abri, ils se déplacent en voiture avec des gardes du corps. Tout cela tient à l'absence de l'Etat et à ses conséquences : la corruption, l'impunité, la violence. » Quant à la bi-nationalité de la production (mexicano-espagnole) qui explique la présence de trois comédiens espagnols, Rodrigo Pla remarque à cet égard : « c'est aussi une réalité : au Mexique, les étrangers s'installent souvent dans des "zonas". En plus - c'est tellement horrible que j'ose à peine le dire -, dans certains secteurs de la société mexicaine, on préfère se marier avec des Européens "pour préserver la race" ». Il faudrait relire Gaston Bachelard : "l’habiter", n'est-il pas "le propre de l’homme?"…

Voir le dossier consacré au Film sur le site d’Allociné