vendredi 20 février 2009

Le régime communal du droit des sols a-t-il encore un sens? Plaidoyer pour un plan communautaire d'urbanisme (par Dominique Musslin)

L’urbanisme à l’heure intercommunale ou l’intercommunalité à l’heure de l’urbanisme ?
Dans le cadre de son 10e colloque annuel (28 novembre 2007, Paris, Caisse des dépôts et consignations), consacré à "l’urbanisme à l’heure intercommunale", Urba+ avait eu le privilège de la diffusion des premiers résultats d’une étude menée sur cette thématique par l’Assemblée des Communautés de France, partenaire de la manifestation.
A l’époque, la problématique "montait"... Avec les lois sur le Grenelle de l’environnement ou encore le projet de loi Marleix sur la démocratie locale, le sujet de "l’urbanisme communautaire" est aujourd’hui devenu incontournable sur l’agenda des politiques publiques et pour les professionnels de l’aménagement. Il était temps! En 1976, déjà, le rapport Guichard, Vivre Ensemble, préconnisait de transférer les prérogatives de l'urbanisme à l'échelle de l'agglomération. Mais à l'époque, la structuration politique de l'agglomération demeure encore marginale dans le paysage institutionnel local. Surtout, à partir de la loi Deferre du 7 janvier 1983, c'est la commune et les maires qui détiennent le droit des sols. La loi Chevènement de 1999 ne reviendra pas sur cet acquis. La compétence urbanisme demeure donc optionnelle à l'échelle des communautés d'agglomération et des communautés de communes.
Et pourtant, « aujourd’hui, une commune ne peut plus exercer les compétences d’urbanisme sans avoir à ses côtés, soit un conseil privé, soit une DDE armée, soit, et c’est plutôt l’orientation que l’on prône, des services organisés à l’échelle de l’intercommunalité », avait fait remarquer, à l'occasion du colloque, Thierry Repentin, Sénateur de Savoie, aujourd'hui Président de l'Union Sociale de l'Habitat et administrateur de l'AdCF.
Dominique Musslin, Vice-président de la Société Française des Urbanistes (SFU) et directeur de l'agence d'urbanisme d'Avignon, dans un registre, certes, plus radical, va dans le même sens. Extraits de son intervention devant les architectes conseils de l'Etat, à Bordeaux le 3 octobre 2008 :
"On vit désormais sur une illusion : celle du pouvoir communal révolu. La fiction de la décision souveraine du conseil municipal. Dans les faits, le conseil municipal est devenu une chambre d’enregistrement de décisions prises ailleurs. Et remplit désormais une autre fonction : celle de régulation des conflits locaux, d’arbitre.
Un exemple, le PLU. Il doit s’articuler avec les demandes privées d’occupation du sol, ce qui constitue la part principale. S’agissant d’électeurs, elles sont examinées avec soin.
Cette mécanique apparemment rodée est en fait totalement déréglée. Le conseil municipal est le seul lieu de décision politique en matière d’urbanisme. Mais pour lui permettre de conserver ce statut qui a perdu son sens, il faut vider de leur sens les décisions de rang supérieur. A l’exception notable du SCoT d’agglomération de Montpellier, les procédures de rang supérieur restent générales en matière d’urbanisme. La formulation permet de tout faire passer, y compris ce que les lois LOTI, SRU, etc.… voulaient remettre en cause : l’éparpillement urbain, la pollution automobile, etc.…"
(...)
Dans ces circonstances, poursuit Dominique Musslin, "une nouvelle opportunité s’offre cependant à nous : le développement auto-soutenable peut redonner un rôle central à la décision publique, tout au moins un rôle pour les décideurs publics dans la gouvernance des territoires. Le « Grenelle » est à la fois le symbole de ce rôle retrouvé et son modèle, celui d’une cogestion avec les acteurs économiques et la société civile, dans le cadre d’un processus dont il ne faut pas sous-estimer la rudesse.
Le retour du local, le retour du « projet local », au sens où l’entend MAGNIGHI prend tout son sens. La commande du « Grenelle », en tout cas en matière d’urbanisme, revient à réhabiliter local, proximité, préservation. Et à envisager les outils pour le mener à bien. Trois exemples :
- l’évaluation précise de la consommation foncière, qui est inscrite dans le « Grenelle 2 ». Difficile de justifier que 80 % des consommations foncières ne permettent que de produire 20% des logements.
- les amendes européennes pour les territoires métropolisés qui n’ont pas eu de stratégie de dépollution de l’air. Le delta du Rhône, qui a priorisé l’auto-mobilité est le champion d’Europe de la pollution par l’ozone, au même titre qu’Athènes.
- L’impossibilité financière de poursuivre l’équipement routier qui a favorisé l’éparpillement urbain, par le biais des finances publiques désormais départementales.
Une obligation s’impose aux collectivités territoriales : donner du sens à l’action publique locale aujourd’hui totalement émiettée et éclatée dans un mille feuilles de procédures et arbitrer clairement pour les communautés, de façon à rattraper le retard pris en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire métropolisé. Et pouvoir dialoguer de façon pertinente avec les acteurs économiques et la société civile.
Le passage des PLU à l’échelle communautaire me semble un acte majeur dans cette évolution. Même si ce passage sera très certainement atténué par la mise en place d’un calendrier, il est probable que l’étape sera franchie. Et dès lors, nous devrions assister à l’écroulement d’un certain protectionnisme communal. Le PLU communal permettait, comme je l’ai indiqué plus haut, à la fois de :
- ne pas décevoir les propriétaires fonciers, acteurs majeurs de l’éparpillement urbain,
- se protéger, un peu comme les décisions de l’Europe par rapport aux nations, des décisions prises par les collectivités dites de rang supérieur, soit en matière de déplacement, d’habitat ou d’environnement.
- Faire durer la mise en œuvre en laissant « traîner » les révisions ou les modifications.
Tout ceci deviendra difficile, car désormais les décisions deviendront progressivement toutes communautaires. Et je pense que le PLU deviendra en quelque sorte le document mère. Il deviendra indispensable pour chaque communauté de se doter d’un projet urbain, je devrais plutôt dire un « projet local » au sens de MAGNAGHI, communautaire.
En bonne logique, ceci devrait s’accompagner d’un redéploiement des services des communautés, dans lesquels ces questions sont dispersées entre de multiples petits services, dédiés à tel ou tel procédure. Un peu à l’image de la façon dont fonctionnent aujourd’hui les services locaux de l’Etat. L’irruption du « projet local » sur la scène communautaire suppose aussi une approche transversale au sein des services de cette communauté. Et probablement des agences d’urbanisme qui ne sont pas toutes préparées à cette mutation."
Pour en savoir plus, télécharger l'étude de l'AdCF à l'adresse suivante:
Nota : Publiée en octobre dernier à l’occasion de la 19e convention nationale de l’AdCF, l’étude « Les communautés et l’urbanisme » dresse un état des lieux sur le niveau actuel d’engagement de l’intercommunalité sur cette compétence stratégique (PLU, instruction des autorisations du droit des sols).
Ces travaux ont nourri les travaux du comité opérationnel urbanisme du Grenelle et comporte à ce titre des pistes de réflexion et des préconisations pour assurer une plus grande cohérence des différents documents de planification territoriale (SCOT, PLU, PLH, PDU…).
Plusieurs des sujets abordés par l’étude sont largement évoqués par le projet de loi Grenelle 2 portant engagement national pour l’environnement. Ce projet de loi, soumis à l’examen du Parlement à partir de mars, comporte en effet de nombreuses dispositions visant à modifier le code l’urbanisme pour faciliter l’implication de l’intercommunalité dans la gestion du droit des sols.