mardi 27 juillet 2010

Quand réforme rime avec pétole…















Billet de vacances d'un observateur avisé du projet de réforme
des collectivités territoriales.

Écopé de sa substance par le Sénat, malmené par les courants conservateurs de l’Assemblée Nationale, ababouiné par le manque d’ambition du gouvernement, le projet de loi de réforme des collectivités territoriales – ou ce qu’il en reste – ne manque pas d’essuyer déceptions et critiques. D’aucuns arrivent encore à se féliciter que le navire « Intercommunalité » n’ait pas dessalé malgré les vents contraires qu’il a du affronter ces derniers mois. Dont acte… mais il serait imprudent de penser que les avaries rencontrées sur le conseiller territorial et la clarification des compétences n’ont pas gravement heurté la coque de ce vaisseau législatif au point de pouvoir en provoquer le naufrage…
Pourtant, l’ambition de redonner du mouvement à l’océan girondin, devenu lac depuis 2004, ne manquait pas à l’origine… Combien de rapports, de commissions, d’experts ont été publiés, réunis, convoqués pour revisiter les fonds abyssaux de l’architecture générale des pouvoirs locaux ?
Cette tentative de réforme aurait pu constituer l’examen de rattrapage du mal nommé Acte II de la décentralisation.... mais la volonté ambitieuse des uns a tellement tangué sous les flots attentistes des autres qu’elle est finalement restée amarrée à son vieux ponton rouillé par des années de stagnation.
Attali, Lambert, Warsmann… Tous ces armateurs l’avaient annoncé : faute d’un passage en chantier de réparation, le bateau était perdu. Il y a bien eu quelques gardiens de phare pour alerter les aventuriers de la réforme sur l’immersion de récifs conservateurs, mais rien n’y a fait, la lame de fond rétrograde a tout emporté ou presque sur son passage… risquant ainsi de faire sombrer l’embarcation décentralisatrice vingt mille lieues sous les mers.
Un simple groupement de collectivités supplémentaire maladroitement baptisé métropole, un PLU dont on refuse toujours d’acter le transfert par la loi à l’échelle intercommunale, un intérêt communautaire qui échappe encore au conseil des communautés de communes, une DGF territoriale qui ne pourra être instaurée qu’à la seule unanimité des communes membres, une unification de la fiscalité ménage qui ne pourra être envisagée sans l’accord express de chacune des composantes de la « coopérative », un conseil communautaire qui risque de faire la part belle aux villes centres, un exécutif limité y compris dans les plus petites communautés où les élus suppléent parfois les agents, des syndicats qui eux perdureront dans bien des cas, des périmètres qui pourront être in fine dessinés par les préfets, des institutions aux compétences stratégiques qu’on continuera néanmoins d’appeler hypocritement « EPCI à fiscalité propre » … Voilà le résultat actuel de ce que le président de la République appelait en 2008 « le grand chantier de la réforme de nos administrations locales ».
Certains skippers optimistes objecteront à ce triste constat que d’autres mesures annoncent quant à elle un avis de grand frais dans nos territoires : achèvement intégral de la carte intercommunale, systématisation de la fiscalité mixte, désignation directe des élus communautaires… Qu’on se rassure, nul besoin de se mettre à l’abri : 95 % des communes et 90% de la population vivent déjà en intercommunalité, bon nombre de communautés avait opté pour la fiscalité mixte avant même la réforme de la taxe professionnelle et, pour finir, l’électeur à qui on annonce offrir généreusement un scrutin « fléché » ne disposera en pratique d’aucune marge de manœuvre quant au choix de ses représentants…
Il n’y aura donc pas de tsunami territorial, ni même de tempête locale, à peine une grande marée intercommunale… En vieux loup de mers qu’ils sont, les élus locaux ont d’ailleurs vite remarqué que son faible coefficient ne lui permettra pas de submerger les digues de la forteresse communaliste. Cette dernière a su, au fil des ans et des gouvernements, se bâtir de forts remparts contre les assauts de ses voisins, venus pourtant au départ en alliés… L’insularité municipale n’est décidemment pas propice au partage…
Le radeau communautaire est donc resté au pied du barrage que des forces d’inertie ont eu à cœur d’ériger face à lui… La dynamique intercommunale est plus que jamais au milieu du gué… Désormais, les visions s’opposent plus qu’elles ne se complètent : simple outil coopératif ou véritable collectivité en devenir, le consensus que l’on annonçait sur le volet intercommunal du texte s’est en réalité matérialisé sur l’absence de vision claire qu’on voulait bien lui prêter… Jamais l’ambigüité du modèle intercommunal ne s’est autant fait jour… Les périmètres tenteront d’être améliorés, la démocratie locale fait une timide apparition, la mutualisation des services gagne progressivement du terrain… mais c’est pourtant par vent de mer que l’intercommunalité cabote péniblement…. On lui installe un vulgaire petit moteur au lieu d’empanner sa grand voile… Ainsi, défenseurs de la commune « cellule de base de la démocratie locale » s’affrontent encore aux promoteurs avant-gardistes d’un modèle fédéral inspiré par les principes augustiniens… les premiers disposant de quelques pieds supplémentaires à leur chaloupe, le statu quo tant décrié par les seconds est finalement le seul vainqueur de cette régate inéquitable.
Avec une certaine anxiété, on tentera d’apercevoir ce qu’il reste au fond des filets usés de cette épave législative en pleine déliquescence… Un conseiller territorial sans mode de scrutin, une répartition des compétences renvoyée aux calendes grecques, des régions sans moyens, des départements confortés dans leur rôle illusoire de garants des politiques de proximités, des communes toujours aussi émiettées, des métropoles moins intégrées que certaines communautés urbaines, des pôles métropolitains sans contenu, des pays maltraités et une intercommunalité qui se cherche encore et toujours.
Fin de la ballade, retour au port…
Capitaine Haddock